Thierry Fauquembergue
Un de mes textes vous a plu ?
Vous souhaitez en lire un peu plus ?
Bienvenue dans mon imaginaire...
Qui suis-je ?
Mes univers littéraires ont patiemment attendu,
tapis au fond de mon esprit,
que je leur accorde un peu de temps pour grandir.
Ce temps est venu...
Mes domaines
Mes récits traversent les mondes de l'imaginaire :
science-fiction, fantastique, fantasy...
avec quelques incursions dans le réel !
OCTOBRE 2024
"Dracocène" :
D’une poussée, je prends mon essor vers un ciel tourmenté.
Le froissement de mes ailes repousse le silence de l’orage comme un présage de vengeance.
SEPTEMBRE 2024
"Les Ramoneurs" :
Mon collègue, Hank, est plutôt du genre taciturne. Alors je suis plutôt étonné lorsqu'il me confie un message que lui aurait confié ma mère la veille... Faut dire qu'elle est morte depuis dix ans.
in Malpertuis XV
SEPTEMBRE 2024
"Dépassé" :
Quand les circonstances troublent la frontière à un tel point
qu'il devient difficile de faire la différence entre coupable et victime...
Génies du crime
AVRIL 2024
"La Forêt aux chats" :
Jade découvre un passage vers un monde parallèle où ses peluches deviennent réelles... mais elles ne sont pas seules.
Explorations insolites
MARS 2024
"Enquêteurs de Sa Majesté" :
Ambrose et sa sœur Adalyn Caldwell forment l'une meilleure équipes de l'E.S.M..
Parviendront-ils à résoudre le mystère des fuites d'informations qui pourraient remettre en question l'issue de la guerre ?
Etherval n°21 - Dixit
FÉVRIER 2024
"Au cœur du vampire" :
Le professeur Pontier est sur le point de découvrir l'ultime secret du vampirisme,
lorsque la visite inopinée d'une inspectrice remet toutes ses recherches en question...
Fiction n°5, l'imaginaire radical
DÉCEMBRE 2023
"Huis clos"
L'équipage du Solitude VII pourrait sauver le monde.
Problème : comment gérer une situation dramatique
lorsqu'on est prostrée dans sa cabine, sujette à une profonde crise d'angoisse ?
in Géante Rouge n°31
NOVEMBRE 2023
"Léa"
Pendant le cours de sciences, les garçons font les imbéciles (comme d'habitude !).
Puis survient l'accident.
in Robotisée
Actualités...
Octobre 2024 --> PARUTION
*** Galactic Days ***
"Dracocène", nouvelle fantasy
in De flammes et d'écailles, éd. BlackRabbit
Septembre 2024 --> PARUTION
*** Les Aventuriales ***
"Les Ramoneurs", nouvelle fantastique
in Malpertuis XV, éd. Malpertuis
Septembre 2024 --> PARUTION
*** FESTIVAL ÉTRANGE GRANDE ***
"Dépassé", nouvelle S.F.
in Génies du crime, éd. Livr'S
DAWN - Fragments d'Âmes
Découvrez le premier volume du
CYCLE DE HILTON BONE
aux éditions Otherlands.
Chronique vidéo
" Je sens que l’au-delà, Somnore, le Passeur me suivent. Les thèmes sous-jacents sont particuliers et ce n’est pas un recueil fantastique pour juste du fantastique."
Maritza Jaillet
" Dès le début, en quelques phrases, il nous projette dans un univers, une ambiance et introduit ses personnages. On est happés directement, sans jamais être perdus"
Céline Saint-Charle, Phénix-Web
" La plume de Thierry Fauquembergue est facile à lire, on est captivé par tous ses différents récits avec les aléas de chacun qui se répercutent dans leur propre vie."
M. Lévesque, Mille et un livres
Encore un peu ?
Micro-nouvelles de littérature générale...
Vous pourrez découvrir ci-dessous des textes issus de ma plume,
à lire en quelques minutes !
(Tous les textes ci-dessous sont ma propriété exclusive)
Mathilde
Le facteur n'est pas passé.
Depuis la porte d'entrée, Mathilde jette un regard sur la pendule dans un dernier espoir, même si elle sait qu'il est onze heures. Sur la table, au milieu de la pièce, les deux pots de confiture de pêche qu'elle pensait lui offrir attendront la fois prochaine. Un peu déçue, elle saisit la bassine bleue déposée sur le rebord de la fenêtre et contourne tranquillement la maison pour aller cueillir quelques haricots au jardin. Comme le temps est sec, sa cheville ne la fait pas trop souffrir, elle décide d'en ramasser quelques-uns aussi pour Martin, son voisin.
Tandis qu'elle claudique sur le chemin d'accès, avec à la main un sac en papier contenant la précieuse récolte, ses yeux se posent machinalement en face, sur la maison du vieux Paul. Jour après jour, elle s'attend toujours à y trouver la deux-chevaux beige stationnée près de l'abri à bois. Les repères de toute une vie ne s'effacent pas si facilement.
Ça fait quoi ? Une dizaine d'années, maintenant, qu'il est décédé ?
Elle s'oblige à fouiller dans sa mémoire, pour l'exercer un peu.
Non. Sa fille était venue un moment en vacances avec le bébé, cet été-là. Jérémy, le petit-fils de Mathilde, soufflait sa première bougie à l'enterrement de Paul.
Dix-sept ans. Bon sang que le temps passe vite...
Quand elle arrive chez Martin, une trentaine de mètres plus loin, elle s'attarde quelques secondes près des roses trémières pour en arracher les quelques fleurs fanées. Au-delà, de part et d'autre de l'allée, les ronces et buissons divers ont remplacé ce jardin dont il était si fier. Un peu dépitée, la vieille femme se demande combien de temps encore ce coin de campagne conservera les traces du minuscule hameau et la mémoire de ses habitants. Le facteur représente un des derniers liens avec le monde, mais son passage de plus en plus irrégulier ne présage que l'abandon, là encore.
Mathilde trouve Martin assis dans la cuisine, à regarder une télévision en noir et blanc qu'il fixe sans vraiment suivre le sujet. Il est à l'image de son jardin : il appartient au passé, se contente de vivre au fil des saisons désormais. Parfois, l'embellie d'une visite de ses enfants brise la monotonie pendant une partie de l'été, et puis le silence reprend vite ses droits.
Il salue l'arrivée de Mathilde d'un simple signe de la tête.
— Tiens, Martin, je t'ai apporté quelques haricots pour ton repas ! lance Mathilde en renversant le sac devant eux.
Sans attendre de réponse — son ami n'est plus guère bavard —, elle se dirige vers l'armoire en formica et en extirpe un saladier avant de s'installer à la table pour commencer à écosser. Comme souvent, elle entame la conversation, autant pour rompre la solitude de l'un que de l'autre.
— Pas de courrier, aujourd'hui. Il est serviable, le petit jeune qu'ils ont mis sur la tournée depuis quelques mois. La semaine dernière, il a pris le temps de m'aider à déplacer ma table avant de repartir.
— Celui avec les cheveux jusqu'aux épaules ?
— Oui, mais il est bien gentil quand même.
Un klaxon retentit. Mathilde abandonne les haricots, tandis que Martin ramasse un papier sur le buffet. Tous deux sortent en direction du fourgon arrêté sur le bord de la route.
Lorsqu'elle en revient, une dizaine de minutes plus tard, Mathilde tient quelques publicités à la main, qu'elle pose sur le tas de bois à côté du feu. Elle retrouve sa tâche, digérant avec amertume la nouvelle colportée par l'épicier : restructuration des services postaux.
Le facteur ne passera plus.
Bonne nuit
Par une chaleur de trente-huit degrés, nous arrivâmes au village où demeurait Augustine.
Comme dans mes souvenirs, les rues désertes semblaient ne mener nulle part. Un vélo appuyé contre le bassin, au centre de la place, apportait l'unique preuve d'une vie dans ce coin perdu de montagne. Joanne et moi descendîmes de la voiture en grimaçant. Longue route. Monotone. Sans envie de parler.
Augustine, ma mère, avait vécu toute son existence dans cet endroit oublié du reste du monde. Malgré mon insistance, quand les années s'étaient accumulées sur ses épaules, les voûtant un peu plus chaque été, elle ne s'était jamais résolue à quitter les fantômes du passé : mon père, emporté deux décennies plus tôt par un caprice de son cœur ; mémé Marie, à qui elle avait promis de venir la voir quand elle monterait là-haut à son tour.
Sans trop comprendre pourquoi, ma gorge se noua lorsque je poussai le portail en fer forgé donnant accès au jardin. Son grincement était revenu, en dépit du nombre incalculable de fois où j'avais dû l'huiler. Une réalisation de papa, quelques années après leur mariage. Mon frère, ma sœur et moi n'étions pas encore là. Derrière, les herbes jaunies avaient remplacé depuis longtemps les plants de tomates et les framboisiers de mon enfance. La façade blanchie à la chaux me dévisageait de ses fenêtres sombres, avec un regard accusateur.
Pourquoi tu ne revenais pas plus souvent ? Tu lui manquais.Tu le savais.
La voix délatrice des murs gorgés de mémoire m'accabla. Je n'arrivais plus à retenir mes larmes. Joanne me serra dans ses bras, sans rien dire. Ma sœur avait tenu à m'accompagner, et sa présence me faisait du bien, comme toujours.
Autour de nous, chaque allée, le moindre muret me rappelait un instant d'enfance. Nous ne descendions dans la vallée qu'une fois par semaine, quand maman acceptait que nous l'accompagnions jusqu'au marché. Elle conduisait la vieille deux-chevaux, la seule voiture qu'elle et papa avaient jamais achetée.
Et puis nous étions partis, tous les trois, à peu d'années d'intervalle. Les études, la vie, la famille à notre tour. Nous ne revenions que pour les vacances.
Ce n'était qu'aujourd'hui que je comprenais cette insistance qu'elle avait eu à nous accueillir malgré l'embarras causé. Seule, dans cette maison silencieuse, son quotidien s'était transformé en une lente répétition des jours, dans l'attente du passage de l'un ou l'autre. Elle avait refusé de quitter cet endroit qui résonnait encore de la vie qu'elle y avait semée jadis.
Avec le recul, je m'aperçus que l'arracher à cette maison aurait déjà représenté une petite mort à ses yeux. Alors pourquoi me sentais-je si coupable ?
Les médecins pensaient qu'elle avait attrapé cette saleté de Covid en descendant se faire vacciner contre la grippe. L'unique fois en deux mois qu'elle se rendait en ville : habituellement, l'épicier livrait ses courses hebdomadaires et les pharmacies. Le vieux Jean s'occupait de lui remonter ce dont elle pouvait avoir besoin en dehors de ça.
Derrière la ligne des crêtes, le soleil se cachait déjà.
Et dans mon esprit, cette image impossible à chasser : les sacs, alignés sur la glace de la patinoire réquisitionnée, parce que les morgues étaient pleines. Elle, étendue, anonyme parmi d'autres, dans cette immense salle déshumanisée. Si loin de sa maison. Si seule.
Les premières étoiles s'allumèrent. Et pour la première fois depuis des décennies, elle n'était plus ici pour les voir.
Bonne nuit, maman.
Grignoter la vie
Adrien est né ici, à Criel-sur-mer, et il y a passé une grande partie de sa jeunesse. C'est donc tout naturellement que, lorsque le moment est venu, il a souhaité y finir sa vie.
Pourtant, la ville de son enfance n'existe plus que dans sa mémoire. Une succession d'immeubles de locations ont remplacé les quelques maisons du front de mer qui entouraient l'esplanade, celle où il avait découvert les voitures à pédales. Les dunes, terrain de jeu d'innombrables parties de cache-cache, se sont fondues sous l'asphalte de la rue qui longe maintenant la digue.
Même le vent a disparu. Celui qui lui fouettait le visage, chargé de sable, et emportait les parasols des rares vacanciers. Stoppé par les constructions rongeant chaque jour un peu plus le front de mer.
Comme ces images surgies d'un passé révolu, Adrien repense à celui qu'il était. Il regarde avec un peu d'amertume la canne qui l'aide désormais à marcher, se souvient de la fois où lui et Simone avaient couru dans le sable, à quelques kilomètres d'ici. Alors sa gorge se noue. Il se dit qu'il ne pourra plus jamais courir, et que son épouse ne rira jamais plus à ses côtés.
Bien sûr, c'est la vie. Bien sûr, c'est dans l'ordre naturel, que les anciens se flétrissent et s'en aillent. Mais jamais il n'avait songé qu'elle le ferait avant lui, sans prévenir, emportée en une poignée de semaines par cette fichue maladie que tous les progrès de la médecine n'arrivent pas à enrayer.
Et pourtant... Pourtant, c'est impossible. Il le sait ! Mais n'est-ce pas elle qu'il aperçoit, assise sur ce banc proche de la jetée ? Un espoir ridicule l'envahit :celui d'un ultime cadeau avant qu'il ne quitte ce monde, lui aussi, trop fatigué pour continuer.
L'instant d'après, Simone n'est plus là. L'inconnue le salue par son prénom, ce qui le laisse hésiter une seconde. Cette femme qui lui adresse un sourire s'appelle Émilie. Elle lui rafraîchit la mémoire de quelques mots, ressuscite une époque bénie où il n'était encore qu'un insouciant garçon d'une douzaine d'années. Les deux anciens camarades de classe réveillent pour un moment le monde d'avant internet, redonnent vie à des noms qu'ils pensaient avoir oubliés, effacés avec tant d'autres choses dans l'inexorable usure du temps.
La gaieté d'Émilie réchauffe les yeux d'Adrien, il se surprend à sourire un peu. Plus qu'il ne l'a fait depuis...
Elle lui raconte rapidement son parcours, puis s'attarde volontiers sur ses enfants qui font sa fierté. Le bonheur de retrouver ses petits-enfants désormais, de grignoter les heures de complicité que la vie quotidienne ne lui laissait pas suffisamment apprécier lorsqu'elle et son mari travaillaient.
Adrien, lui, ne parle pas. Il se contente de l'écouter déverser en lui le côté lumineux de l'existence. Certaines phrases rencontrent un écho. Elle aussi a perdu son conjoint, n'avait pas imaginé que cette retraite qu'ils attendaient avec pleins de projets, elle la passerait seule.Mais tout l'amour qui rayonne de sa famille parvient à combler en partie ce manque.
Quand ils se séparent après avoir échangé leurs coordonnées, il la regarde s'éloigner tranquillement. Son attention revient à la plage ; il y voit le fantôme de Simone, qui rit en chahutant avec les enfants. Ils n'ont qu'une dizaine d'années.
Adrien sort bientôt le téléphone qu'il ne quitte jamais, sur l'insistance de son fils, et active le numéro pré-enregistré.
Peut-être peut-il goûter encore un peu à la vie, après tout.
La lettre
Une lettre étrange est arrivée ce matin.
Lorsque je l'ai ouverte, l'odeur de tabac qui s'en est échappée a aussitôt déclenché en moi une vague de souvenirs enfouis depuis un moment au fond de ma mémoire. L'image de mon grand-père m'est apparue, avec une intensité surprenante. Il se tenait debout au milieu de son jardin, le regard plein de fierté pour ses tomates bien rouges, sa sempiternelle pipe figée à la commissure des lèvres. La fumée qui s'en dégageait possédait des fragrances de vanille.
Sur le papier jauni par le temps, des lettres soigneusement formées, aux déliées amples et régulières, dessinaient des lignes à peine tremblotantes. J'ai immédiatement reconnu son écriture : enfant, j'adorais l'observer tandis qu'il corrigeait avec patience la quinzaine de cahiers de ses élèves.
Les premières phrases évoquent la canne à pêche qu'il venait d'acheter pour moi, afin que nous puissions taquiner le goujon sur l'étang aux prochaines vacances. Je sens une larme humidifier le bas de mon œil ; cette promesse date de l'année de mes quinze ans... Il continue en me décrivant la bonne santé de l'arbuste que nous avions planté lors de ma dernière venue, puis achève en me priant d'embrasser ma mère pour lui.
Manon me demande pourquoi je pleure ; du haut de ses trois ans, elle pense que je suis triste. Je lui explique donc que parfois, chez les grandes personnes, le bonheur peut aussi faire monter des larmes. Elle n'a pas l'air satisfaite de ma réponse, mais elle n'insiste pas et sort jouer avec sa sœur dans le jardin.
Mes mains tremblent un peu. Je retourne l'enveloppe pour jeter un œil sur le tampon de la poste : dix-sept octobre mil-neuf-cent-quatre-vingt... J'avais six ans. La maladie rongeait déjà maman, à l'époque, mais elle l'ignorait encore. Elle nous avait quittés quelques mois plus tard, et le chagrin avait emporté grand-père avant la fin du printemps.
Comment une odeur peut-elle traverser les décennies sans s'atténuer ? Je sais que certains courriers ont parfois mis des années avant d'arriver, que certaines enveloppes sont retrouvées lors de la démolition d'un ancien bureau de poste, par exemple. Mais je n'aurais jamais pensé que le contenu d'une lettre, trente ans plus tard, puisse me bouleverser à ce point.
Je jette un nouveau regard en direction de la caisse poussiéreuse où je l'ai déposée, comme pour m'assurer de sa réalité. Le petit rectangle jaunâtre paraît presque lumineux dans la pénombre du grenier.
Sous un carton rempli de bocaux vides, la vieille malle m'attend sagement avec, à l'intérieur, les quelques objets hérités de grand-père. Le cœur serré, j'exhume d'un drap usé la canne à pêche télescopique qu'il m'avait offerte lors de ce dernier anniversaire auquel il avait assisté. Bizarrement, je ne l'ai jamais utilisée. Après son départ, qui aurait pu m'y emmener ? Papa était effondré.
Par la lucarne entrouverte, les rires des filles montent du jardin et réchauffent l'air autour de moi. Ils aident ma gorge à se dénouer. Après un long moment en tête à tête avec la malle, quand je décide finalement de redescendre, elles me fixent avec curiosité.
— C'est quoi, papa ? lâche Manon en désignant l'objet entre mes mains.
J'ai du mal à réprimer une nouvelle montée de larmes, dans un demi-sourire.
— C'est une canne à pêche, ma chérie. Demain matin, nous allons l'essayer.
Le monde d'après
Une fumée épaisse recouvrait le village, poussée de la ville voisine par une brise printanière. Les enfants et moi retrouvions avec joie notre petit rituel quotidien, suite aux deux mois d'isolement.
Après avoir pris leur température, je vérifiais de n'avoir rien oublié pour l'école : le repas froid pour le pique-nique dans la classe, la gourde, le cahier avec le travail fait à la maison la semaine précédente... Je passai la bandoulière du sac autour des cannes de la poussette de Céleste, avant de saisir Lilian par la main pour nous élancer : l'école accueillait à nouveau une partie des maternelles aujourd'hui, il ne s'agissait pas d'arriver en retard !
Autour de nous, les gens filaient sur les trottoirs en s'écartant machinalement les uns des autres. Le petit bras potelé de Céleste se tendait parfois vers le fourgon multicolore d'un livreur, tentant de l'attraper parmi le défilé de voitures. La vie était enfin revenue ! Les rues vides et tout ce silence, pendant des semaines, avaient fini par m'angoisser.
Les éboueurs en habits jaunes collectaient les bacs de tri sélectif de la place centrale, m'indiquant que nous étions dans les temps. Je me plaisais à retrouver mes repères, à ressentir à nouveau la nécessité de respecter un horaire ; je goûtais le bonheur d'avoir devant moi une journée bien remplie après l'oisiveté imposée.
Bien sûr, j'avais apprécié de disposer de ce temps pour jouer avec les enfants. Mais je sentais bien qu'ils commençaient à s'ennuyer sans leurs petits camarades : deux mois enfermés, à leur âge, autant dire une éternité ! Retrouver les autres, même s'ils n'avaient pas le droit de s'en approcher, leur ferait probablement le plus grand bien. Et puis, malgré l'interdiction d'utiliser les jeux collectifs de la classe, ils pourraient se voir, rigoler, et peut-être même apprendre une nouvelle chanson... Leur maîtresse si gentille trouverait bien de quoi les occuper sur la journée.
Derrière le supermarché, je marquais une pause, le temps de montrer aux garçons les deux jolies colonnes de vapeur blanche qui s'élevaient de l'usine à papier. Les arabesques se courbaient pour se fondre dans la fumée de la ville, où l'activité avait presque totalement repris.
Peu à peu, la luminosité augmentait à mesure que je devinais le soleil grimpant dans le ciel. J'aimais ces matins doux, à l'approche de l'été, avant que les températures de l'après-midi et les gaz d'échappement de la circulation ne m'indisposent. Paradoxalement, j'adorais aussi le ronronnement continu des climatiseurs pendant ces périodes, qui berçait mon endormissement et annonçait l'imminence des vacances d'été.
Céleste poussa un petit cri en pointant du doigt le gardien, lorsque nous arrivâmes devant le portail de la maternelle. J'avais senti la main de Lilian étreindre un peu plus fort la mienne tandis qu'il se serrait contre moi, intimidé par les masques chirurgicaux bleu azur des adultes présents dans l'école. Il ne devinait pas les sourires affichés au-dessous. Sur le trottoir, de petites fleurs colorées avaient été peintes pour indiquer les distances de sécurité à respecter, égayant cette portion de la rue.
À travers les barreaux, j'aperçus Corentin, le grand copain de Lilian, qui attendait dans la file pour se laver les mains sous le regard bienveillant de la directrice. Je le montrais à mon fils, qui se collait avec de plus en plus d'insistance contre ma jambe, suppliant, au bord des larmes.
Alors naquit un doute.